Peut-on dire que l’infertilité est parfois d’origine psychologique ?
Joëlle Desjardin-Simon : Surtout pas ! L’idée n’est pas de culpabiliser des femmes qui vivent déjà mal leur infécondité, en leur disant : « C’est dans votre tête madame ! ». En revanche, il est évident que tout ou presque ce qui arrive dans notre corps est lié à l’inconscient. La capacité à concevoir un enfant ne déroge pas à la règle. Ce n’est pas parce que la décision d’avoir un enfant est prise consciemment, que l’inconscient suit. Et quand un conflit oppose le conscient et l’inconscient, malheureusement pour nous, c’est toujours l’inconscient qui gagne.
Qu’est ce précisément que l’inconscient ?
JDS : L'inconscient est constitué de trois éléments essentiels. D'abord les pulsions de vie et de mort qui se tissent et s'entrecroisent en nous depuis notre vie utérine jusqu'à notre dernier souffle. Ensuite, l'enregistrement psycho-corporel de toutes nos expériences relationnelles et émotionnelles vécues dès avant notre naissance, qui s'impriment dans notre corps de bébé et y laissent une trace. Enfin, l'inconscient de chacun est chargé de l'héritage des générations précédentes et de ses traumatismes passés sous silence et pourtant transmis par nos parents, à leur insu. Ces ingrédients constituent ainsi une instance psychique très particulière, ignorée, mise à l'écart de notre esprit, mais cependant très active dans la construction de nos vies.
Comment notre inconscient peut-il « verrouiller » la fécondité ?
JDS : Cet inconscient peut se représenter comme un chaudron fermé et rempli par toutes les expériences vécues depuis la plus tendre enfance entre un père et une mère donnés. Il est déterminé aussi par la place que nous occupons dans notre fratrie et dans l'histoire de nos parents et par la façon dont notre sexe, fille ou garçon, répond ou non à leur désir. Ces éléments, refoulés, mijotent plus ou moins bien dans la marmite. Quand le bouillonnement est trop fort, quand le mélange n'est pas homogène, quand ça déborde, l'inconscient produit différents symptômes pour tenter de réguler le contenu du chaudron. Ce qui arrive dans nos vies d'adultes est le plus souvent l'effet de conflits psychiques ignorés datant de notre enfance. C'est le cas notamment de la plupart des maladies qui nous affectent mais aussi des phobies, des troubles du comportement, des angoisses, de l'anorexie ou de la boulimie. L'infécondité, qui n'est pas une maladie, mais la mise en suspens d'une fonction biologique, s'intègre aussi à ces symptômes fabriqués à son insu et contre son désir conscient par un humain en conflit avec des pans de son histoire dont il ignore lui-même la charge de souffrance ou qu'il pense avoir surmontés.
Concrètement, quels peuvent être ces « verrous inconscients de la fécondité » ?
JDS : Mettre un enfant au monde est d’une complexité particulière : c’est devenir mère, devenir père, transmettre une histoire, se confronter au bébé que l’on a été, aux parents que l’on a eus. Beaucoup d’éléments, dans l’histoire intime de chacun, peuvent venir former un verrou, empêchant de donner la vie. Ce peut-être une carence dans le lien avec le père ou la mère. Le refus de la place occupée au sein de la fratrie. Ce peut être une femme qui a été une mère de substitution pour une sœur, et qui, à la perspective de devenir mère, craint inconsciemment d’éprouver face à son bébé l’ambivalence entre l’amour et la jalousie. Ce peut-être la façon dont la femme a endossé son sexe, en étant un garçon manqué, car ses parents voulaient un garçon. Ce peut être un deuil vécu dans l’enfance et qui empêche de donner la vie. Parfois, c’est une superposition de verrous.
Vous insistez également sur la part de responsabilité égale de l’homme et de la femme. Pourquoi ?
JDS : Il faut être deux pour ne pas enfanter. L’histoire d’amour naît elle aussi, en partie, de l’inconscient. Une femme qui éprouve, inconsciemment, des difficultés à devenir mère, rencontrera, inconsciemment toujours, un homme qui lui aussi est en difficulté pour devenir père. Dans ma pratique, cela ne s’est jamais démenti. En témoignent les nombreuses histoires où les partenaires d'un couple qui n'arrivaient pas à avoir d'enfant ensemble en auront chacun de leur côté, dans un nouveau couple.
Pourquoi un couple ne pourrait-il pas avoir d’enfant ensemble ?
JDS : Dans sa rencontre et à son insu, il arrive que le couple ne puisse pas, temporairement ou définitivement, faire de place à un tiers. Parfois, les deux partenaires comblent dans leur rencontre un manque ou une souffrance remontant à leur enfance et l'arrivée d'un enfant peut compromettre cet équilibre si chacun ne change pas de place.
L’histoire transgénérationnelle peut-elle aussi influer sur la fécondité ?
JDS : Les secrets de famille, les non-dits, les adultères, les mensonges sur la filiation : toutes ces histoires tues peuvent être portées inconsciemment par les générations suivantes. Et à l’heure de fabriquer une nouvelle génération, elles peuvent constituer un blocage. Donner la vie, c’est transmettre une histoire. Ne pas donner la vie, c’est arrêter de transmettre une histoire que l’on ne connaît pas.
Par quels mécanismes physiologiques l’inconscient peut-il bloquer la fécondité ?
JDS : La conception d’un enfant relève d’une alchimie physiologique et psychologique mystérieuse. On connaît les ingrédients physiologiques, mais pas les ingrédients psychologiques. Pour preuve : malgré ses immenses progrès, la médecine ne permet pas toujours d’obtenir une grossesse. La conception d’un enfant ne peut se résumer à la rencontre aseptisée des gamètes, ni au transfert techniquement parfait d’embryons mûrs à point. Le chef d’orchestre, c’est l’inconscient. Le psychisme est tout à fait capable de mettre en place des barrières physiologiques à une maternité ou à une paternité indésirable sur le plan inconscient. Ainsi, la qualité du sperme peut fluctuer d’un recueil à l’autre en fonction de la fatigue, de l’anxiété et de bien d’autres facteurs. Le système ovulatoire lui aussi est très fragile et soumis à des variations psychiques.
Dans quelles situations peut-on soupçonner une part d’inconscient dans la difficulté à concevoir ? Dans les cas d’infertilité dite inexpliquée ?
JDS : L’inconscient peut être impliqué dans les cas d’infertilité inexpliquée en effet, mais pas seulement. Même quand l’infécondité est médicalement expliquée, l’inconscient peut avoir un rôle à jouer. Une endométriose ou des trompes bouchées par exemple peuvent être le symptôme d’un blocage psychique. De même, des cycles irréguliers peuvent être le symptôme d’un inconscient qui a suspendu dans le corps le féminin, pour des raisons remontant à l’enfance, au rapport à la mère, à un traumatisme, à des secrets de famille. Une infertilité secondaire peut être liée à des jalousies fraternelles.
Quelle est la clef pour ouvrir ces verrous ?
JDS : Il n’y a pas de baguette magique ! La parole est la seule clef. Elle tisse du sujet… mais pas forcément un bébé. Il ne s’agit pas de mettre en place une psychanalyse classique, mais de se pencher sur son passé et d’essayer de comprendre ses éventuels carences et traumatismes et la façon dont ils peuvent impacter le devenir mère et le devenir père. Le fait d’explorer cela, d’aller voir là où la fécondité a pu se verrouiller, se mettre en paix avec sa propre histoire, rendre aux générations précédentes leur propre histoire peut changer beaucoup de choses pour mener la suite de sa vie de façon féconde – avec un enfant ou pas. Qu’il mène à une grossesse ou non, ce travail est bénéfique dans tous les cas.
Ce travail est-il nécessaire pour tous les couples rencontrant des difficultés à concevoir ?
JDS : Aujourd’hui, les couples n’arrivant pas à concevoir sont très vite embarqués dans un parcours d’AMP qui leur laisse promettre la réussite de leur projet de bébé. Pourtant, l’accompagnement des couples infertiles démontre que parfois, temporiser, se laisser parler plutôt que de se soumettre d’emblée à l’acte médical, se déplacer de l’urgence de la conception à l’élaboration de sa propre histoire, peut provoquer des effets inattendus.