Un environnement conçu par et pour les droitiers
Aujourd’hui, on ne contrarie plus les gauchers à l’école. Cependant, l’environnement reste conçu par et pour les droitiers :
- le sens de l’écriture et la lecture
- la représentation de l’échelle temporelle
- la présentation des équations mathématiques
- les objets usuels: les claviers d’ordinateur, cahiers, les ouvre- boîtes, ciseaux et autre taille crayons.
Les gauchers sont donc obligés de s’adapter, au prix d’un effort souvent considérable et méconnu, source de bien des difficultés. Florence de Montesquieu, graphothérapeute-rééducatrice de l’écriture et formatrice en graphothérapie, ainsi que Joëlle Morice-Mugnier, psychopraticienne Vittoz et créatrice de la latérapédagogie, partagent avec nous, leur vision de la gaucherie.
Le système œil-main-pied-oreille, responsable de la latéralité
13% de gauchers, soit 8 millions de personnes en France, ont un fonctionnement cérébral en sens inverse par rapport au sens dominant. La main dominante n’est qu’un indice du mode de fonctionnement. La latéralité d’un enfant ne s’apprécie pas seulement par la main choisie pour écrire, mais par l’ensemble du système œil-main-pied-oreille. La combinaison peut être homogène ou non. Par exemple, l’enfant peut être œil-main-pied-oreille gauche (ou droit), on dit qu’il a un système homogène. Mais il peut aussi être œil gauche-main droite-pied gauche-oreille gauche ou toute autre combinaison croisée.
La latéralité de l'œil, responsable de la lecture ou de l'écriture
Mais attention, la latéralité de l’œil est complexe. L’œil choisi pour viser au loin une cible fixe, centrée, est dit « dominant ». L’œil qui guide la lecture ou accompagne l’écriture, de près, en vision dynamique est appelé « directeur ». On peut là aussi retrouver une hétérogénéité, avoir l’œil droit dominant et l’œil gauche directeur. Il est important de déceler tôt ces caractéristiques, que l’enfant en soit conscient pour pouvoir s’adapter au mieux.
Le système œil-main-pied développe certaines zones du cerveau
Le système œil-main-pied préférentiel va spécialiser un hémisphère cérébral pour un certain type d’activité.
Le "corps calleux" est plus développé chez les gauchers
On observe ainsi que 95% des droitiers ont l’hémisphère gauche dominant pour le langage. Si 70% des gauchers utilisent aussi leur hémisphère gauche pour le langage, les 30% restants le traitent dans l’hémisphère droit. Chez les gauchers, la structure reliant les deux hémisphères, appelée « corps calleux » est plus développée, car le transfert d’information est plus intense.
Un traitement de l'information différent selon l'hémisphère
Le traitement de l’information est différent s'il s’opère dans l’hémisphère gauche ou droit. On considère que l’hémisphère gauche fait un tri analytique, rationnel, tandis que le droit privilégie une vision globale des choses, plus intuitive. Cette tendance, combinée avec des facultés d’adaptation développées depuis l’enfance, expliquerait qu’un certain nombre de génies aient été gauchers.
Les gauchers, des êtres créatifs
Parmi les gauchers célèbres, on peut citer Léonard de Vinci, jean-Sébastien Bach, Ludwig van Beethoven, Robert Schumann, Charlie Chaplin, Alexandre Dumas, Edgar Poe, Bill Clinton, Barack Obama, Bill Gates... Généralement, on peut constater deux types de gauchers :
- des artistes aux capacités cognitives et manuelles : les gauchers auraient des facilités pour la représentation spatiale, le rythme. Leurs capacités cognitives et manuelles les prédisposent aux arts, à la musique, aux mathématiques, à l’architecture.
- des sportifs : les gauchers excellent dans les sports d’opposition, tels que le tennis (John Mc Enroe, Rafael Nadal...), le tennis de table, la boxe, l’escrime, le judo.
Le circuit neuronal « réflexe » engage un seul hémisphère, contrairement au droitier, pour qui l’information est transmise par l’œil droit au cerveau gauche. Concrètement, le bras du gaucher « part » plus vite que celui d’un droitier. C’est bien souvent un avantage décisif sur l’adversaire.
Une singularité pas si évidente à vivre
Avant de transformer cette singularité en atout, le chemin peut être ardu pour l’enfant gaucher, et ce, dès l'entrée en collectivité. La différence peut être mal vécue chez l'enfant en fonction :
- de son sexe : les filles ressentent particulièrement mal cet écart par rapport à la norme. On parle d’ailleurs d’un phénomène "d’inhibition genrée" pour expliquer l’écart significatif entre le nombre de garçons gauchers et de filles gauchères.
- de son corps : écrire dans le sens inverse de son sens d’ouverture provoque des tensions dans les doigts, le poignet, le dos pouvant aller jusqu’à des scolioses.
- de son éducation : l’effort subi pour lire de gauche à droite peut occasionner des maux de tête, des douleurs ophtalmiques, des difficultés de concentration ayant comme conséquences une mauvaise compréhension, mémorisation, et restitution. Parfois, le blocage se traduit par une dyslexie.
- de son caractère : psychologiquement, la différence peut être mal vécue, l’enfant peut être réprimandé pour son manque de soin, il peut se créer un décalage vis-à-vis des pairs. L’enseignant peut s’agacer… Le vécu scolaire s’avère délicat.
La gaucherie décelée avant l'entrée en CP
La grande majorité des jeunes enfants choisissent une main pour saisir un crayon disposé en face d’eux (centré). L’affaire est entendue, ils sont droitiers ou gauchers sans équivoque. Pourtant, entre 5 et 7 ans, 20% des enfants hésitent encore entre main droite et main gauche. Joëlle Morice-Mugnier les identifie comme des gauchers qui s’ignorent, qui se contrôlent. Il se crée alors un conflit interne. L’enfant a le choix entre affirmer sa gaucherie ou se contrarier lui-même. Pour son entourage, l’enfant est présenté comme ambidextre.
Respecter le choix de l'enfant
Il faut donner le temps à l'enfant de choisir librement, en présentant toujours le crayon ou feutre au milieu de la feuille. Cette hésitation peut durer en petite et moyenne section. Il est important que l’enseignant respecte une attitude neutre vis-à-vis du choix de la main. La plupart des enfants choisiront avant l’entrée en CP. Dans le cas contraire, un bilan psychomoteur en cours de grande section de maternelle peut aider à affirmer le choix.
Des astuces pour faciliter le travail du gaucher
Le gaucher a tendance à écrire « au-dessus de la ligne » avec une main crispée en « col de cygne ». L’écriture est douloureuse, lente, le travail est souvent sale. Toute rééducation vise à replacer le plus tôt possible la main gauche en-dessous de la ligne pour gagner en précision, vitesse, souplesse. Plusieurs astuces facilitent le travail :
- la posture : pied au sol, avant-bras sur la table, sans raideur de la nuque ou du dos. L’enfant qui apprend à écrire a besoin d’appuyer son buste sur la table. Un plan incliné soulage l’avant-bras.
- le stylo : faites essayer plusieurs stylos à votre enfant. Il existe des stylos pour gauchers. Les rollers à encre peuvent aussi être confortables.
- la feuille : elle doit être inclinée vers la droite. Tout modèle sera placé à droite également. L’enseignant doit penser à placer l’élève gaucher à gauche en cas de pupitre double.
- la patience : l’enfant qui écrit mal ne fait pas exprès et risque de se décourager devant les réflexions de l’enseignant ou des autres élèves.
- la lisibilité : quels que soit les défauts de l’écriture (taille, alignement) encouragez-le. Il est important que l’enfant puisse se relire et soit compris par autrui.
Ces ajustements pratiques changent tout, mais nécessitent l’entière coopération de l’enseignant. En tant que parents, ne tardez pas à prendre rendez-vous en début d’année.
La latéropédagogie: des recherches depuis plus de vingt ans
Gauchère contrariée, Joëlle Morice-Mugnier a mis au point depuis vingt ans une méthode s’adressant aux gauchers pour, d’une part, réhabiliter leur gaucherie, et d’autre part, accompagner leur adaptation. Elle forme des orthoptistes, grapho-thérapeutes, kinésithérapeutes, orthophonistes à sa pédagogie. Elle a également inventé plusieurs outils compatibles avec un sens d’ouverture droite-gauche (ex. cahier-calque pour écrire en miroir). Aujourd’hui, il existe un réseau de professionnels s’appuyant sur la latérapédagogie à Paris, Lyon, Nantes, dans le Sud-ouest de la France, en Belgique et au Canada. Il met en place deux axes de travail.
1er axe de travail : prendre conscience du sens naturel d'"ouverture"
Le premier axe de travail consiste à faire prendre conscience du sens naturel « d’ouverture » par tout un travail de graphisme en alternant sens gauche-droite et droite-gauche. Ceci recrée de bonnes connexions, à raison de 5 minutes d’exercices quotidiens pendant trois semaines.
2e axe de travail : utiliser les deux sens d'écriture
Dans un second temps, d’autres exercices, à la même fréquence, sur 21 jours, vont aider l’adaptation. Le gaucher est encouragé à utiliser les deux sens d’écriture, pour reconnecter les bons circuits et finalement délier sa pensée, tout en sortant de l’échec et du jugement. Devant un enfant qui écrit en « miroir », il convient de positiver. Bannir « Tu as écrit dans le mauvais sens », on pourra constater « C’est ton bon sens d’ouverture ». S’autoriser à être gaucher peut, par exemple, passer par l’utilisation du cahier-calque (breveté par JMM) comme cahier de poésie en classe. Certains enseignants sont ouverts à cette pratique. L’enfant fait le dessin à gauche et écrit le texte sur le calque de droite à gauche.
Il ne faut pas perdre de vue l’objectif final qui est d'aider l'enfant gaucher à s’insérer dans le monde, de lui permettre de progresser au même rythme que les autres et de pouvoir exprimer un vaste potentiel. Pour un gaucher en souffrance, un accompagnement pluridisciplinaire permet d’acquérir une écriture lisible, rapide et sans douleur.
