Les jumeaux sont, par définition, fusionnels dès la vie in utero. Quel impact cette relation si particulière a-t-il sur leur éveil et leur développement, notamment dans leurs premiers mois de vie ?
Fabrice Bak : Il est vrai que les jumeaux ont une relation, par essence, fusionnelle. D'ailleurs, les parents vont souvent être amenés à entretenir cette fusion dans leurs premiers mois de vie, pour pouvoir organiser le quotidien de la famille. Quand l'un aura faim, ils tendront à nourrir les deux; quand l'autre aura besoin d'être changé, les parents feront la toilette des deux enfants. Parfaitement normale, cette phase de fusion dure environ 2 ans. Il en découle que les jumeaux ont une étape supplémentaire dans leur développement. Ils ont tendance à être plus lents que les autres enfants et il y a souvent un décalage dans l'acquisition des grandes compétences (langage, construction dans l'espace, etc.). Cet écart d'apprentissage ne doit pas inquiéter les parents : là encore, il est tout à fait normal et se comble vers 6 ans.
Quelles sont les étapes clés que les jumeaux franchissent dans leur éveil et leur développement ?
Fabrice Bak : Entre 0 et 2 ans, les jumeaux sont donc dans cette phase dite d'entité gémellaire. Après 8 ou 9 mois de fusion in utero, il est important de ne pas les séparer, même si cela implique ce "retard" d'éveil. Puis, entre 2 et 6 ans, les jumeaux entrent dans une phase de complémentarité. C'est à cette période de leur vie que les parents leurs attribuent des caractéristiques propres qui ont tendance à se compléter. L'un est plus "colérique", l'autre plus "calme" ; l'un "plus actif", l'autre plus "spirituel", etc. Cette façon de les différencier les aide à se construire jusqu'à la phase suivante de leur développement. De 6 à 11-12 ans, les jumeaux entrent dans une première phase d'autonomie qui sera encore renforcée à l'adolescence.
En quoi la personnalité des jumeaux se construit-elle et s'affirme-t-elle différemment de celle des autres enfants ?
Fabrice Bak : La question de la personnalité est très différente chez les jumeaux. En effet, ces derniers se construisent en ayant en permanence un partenaire à leur côté. Ils vont toujours chercher à imiter le modèle à côté d'eux, même si c'est le "mauvais" exemple. C'est ainsi qu'on peut expliquer le retard de langage : l'enfant a tendance à s'inspirer plutôt des babillages de son co-jumeau que des paroles d'un adulte.
Par contre, la présence de ce partenaire constitue une réelle force. On sait, par exemple, que les jumeaux n'éprouvent pas de sentiment de solitude au cours de leur enfance. Ceci a plus tard un impact sur leur capacité à créer des liens sociaux. Ainsi, les jumeaux évoluent souvent dans des groupes plus grands dès l'adolescence et à avoir une tendance à l'empathie beaucoup plus forte que les enfants seuls.
Par ailleurs, au moment des étapes clés de leur vie d'enfant, la gémellité confère aux enfants de l'assurance. L'entrée au CP, qui est souvent source d'angoisse, est d'ailleurs souvent mieux vécue par les jumeaux qui voient en l'autre un repère, une source de réassurance.
Les parents n'ont donc pas intérêt à encourager, chez leurs enfants, une forme d'individualité avant 2 ans, voire même plus tard ?
Fabrice Bak : Naturellement, il vaut mieux les habiller différemment, les encourager à dormir dans leur propre lit, leur offrir leurs propres jouets et éviter de les appeler "les jumeaux". Mais il faut garder à l'esprit que l'individualisation des jumeaux ne commence pas avant 2 ans et ne finit que vers 6 ou 7 ans. Avant cela, il est important de ne pas chercher à les "dégémelliser" en les séparant trop rapidement. En effet, cela risque d'aller à l'encontre de leur développement normal et, au lieu de les encourager à l'autonomie, de favoriser la persistance de la fusion gémellaire.
C'est donc vers 6 ans que les jumeaux sont prêts à "voler de leurs propres ailes", à être séparés ?
Fabrice Bak : Il y a un grand fantasme social autour de la séparation des jumeaux. On croit souvent que les forcer à "se scinder" leur permettra d'être plus "normaux". Or ce n'est pas le cas.
Chez les tout-petits, les séparations doivent être très ponctuelles. Il est important que les jumeaux soient gardés chez la même nounou, par exemple. Là où l'enfant seul se tourne vers la nounou pour des repères, les jumeaux s'autorégulent. Ce lien affectif fort perdure plus tard et est toujours bénéfique.
Plus tard, il faut rester très vigilant au moment des séparations, quel que soit l'âge des jumeaux. Celles-ci ne doivent jamais avoir lieu dans des contextes déstabilisants ou lors d'années charnières comme l'entrée en petite section ou au CP. Pour les parents, il est important d'observer leurs enfants au quotidien et de leur demander leur avis. Si l'un dit qu'il est prêt à la séparation et l'autre non, c'est qu'il est encore trop tôt. Il faut y aller progressivement et ne pas imposer des séparations qui pourraient être très mal vécues.