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Le point de vue de Michael Stora

Objets connectés: les dangers d'une surveillance continue des enfants

Photo : Pixabay

La surveillance : une dérive des nouvelles technologies

GPS dans les vêtements : des enfants tracés.

L'inquiétude grandissante des parents pousse les créateurs de vêtements à intégrer des balises GPS dans certains de leurs produits. Les parents peuvent ainsi suivre les déplacements de leurs enfants, via une application. 
En 2014, Gémo lançait ses premiers modèles de manteaux, pour enfants de 3 à 10 ans, avec balise GPS intégrée. Ce système permet aux parents de "tracer" leur enfant, tout en sachant exactement la distance qui les sépare. D'autres options permettent d'imposer à l'enfant un périmètre de sécurité à ne pas dépasser et enfin le manteau comporte un bouton SOS, que l'enfant peut actionner en cas d'urgence, pour entrer directement en contact avec ses parents.

Ici, l'enfant est soumis à une surveillance constante, ses trajets sont contrôlés et il ne peut donc se permettre aucun écart.

Les montres et jouets connectés

À Noël, les jouets connectés ont eu beaucoup de succès chez de nombreuses familles françaises, notamment la montre connectée pour enfant. Cette dernière permet aussi aux parents de surveiller leur enfant. En plus d'avoir une fonction de géocalisation, certaines montres permettent même d'écouter à distance les activités de leur enfant. 
En Allemagne, ces montres ou autres jouets connectés, ont été interdits à la vente, au mois de novembre 2017. Malgré leur aspect inoffensif, ces montres sont considérées en Allemagne comme de véritables outils de surveillance, notamment quand les parents s'en servent pour écouter et espionner les cours de leur enfant. En France, ces montres répondent à une attente de la part des parents, qui ne les voient pas comme un danger, mais plutôt comme une sécurité. Un contrôle des faits et gestes des enfants, au détriment de leur autonomie. 

> Lire aussi notre article : Que penser de la nouvelle mode des jouets connectés ?

Michaël Stora : « Une pratique qui développe l'inquiétude parentale et l'anxiété de l'enfant » 

Ces nouvelles technologies qui permettent d'en savoir toujours plus, peuvent rassurer les parents, mais aussi accroître leur inquiétude. Habitués à savoir en permanence ce que font leurs enfants, que se passe-t-il si leur système de surveillance ne fonctionne plus ? C'est l'angoisse totale. Tout ce qu'ils ont pu mettre en place pour se rassurer quant à la sécurité de leur enfant, se retourne contre eux. Sans ce contrôle permanent, ces parents se sentent perdus et ne savent plus comment se comporter, laissant place à la panique.

De même, chez l'enfant, ce système de surveillance n'est pas sain et peut conduire aussi à un profond sentiment d'anxiété. En effet, l'enfant peut penser que, s'il est constamment surveillé, c'est parce qu'il est toujours en danger. Dès qu'il n'est plus chez lui avec ses parents, l'enfant s'imagine qu'il prend des risques. Ce système, à défaut de le rassurer, peut développer sa peur de l'inconnu. « Toutes les zones que mes parents ne m'autorisent pas avec la balise GPS, je ne peux pas m'y sentir en sécurité. » 
Comment apprendre à être autonome et responsable lorsqu'il suffit de suivre un chemin déjà tracé ? 
Avec l'entrée au collège et en grandissant, l'enfant a besoin d'avoir un peu plus de liberté et d'expérimenter les choses, par lui-même, pour s'épanouir. Rentrer seul de l'école ne lui fera pas de mal, au contraire ! Apprenez-lui les règles de sécurité élémentaires (ne suivre personne, toujours marcher sur le trottoir...) et laissez-le se sentir autonome et responsable, sans lui transmettre vos angoisses. 

Des comportements à risque à cause d'un manque de confiance

Michaël Stora : « Je te fais confiance car tu es géocalisé " : ce n’est pas avoir confiance en son enfant, c’est remplir un lien qui n’est pas un bon lien entre les parents et l’enfant. »

La confiance implicite qui doit exister entre les parents et l'enfant, est rompue par ce système de surveillance électronique. L'enfant sent bien que ses parents ne lui font pas confiance, il peut avoir l'envie (surtout au moment de l'adolescence) de transgresser toutes ces règles imposées par ces technologies de surveillance. Soit pour manifester leur manque d'autonomie et de prise de décision, soit pour attirer l'attention sur lui. À force de sentir aimé quand ses parents sont inquiets, l'enfant va rechercher à créer cette inquiétude parentale, dans le seul but d'attirer l'attention de ses parents, et de ressentir leur amour. C'est ainsi que les mauvaises décisions des adolescents trop surveillés peuvent se multiplier très rapidement. 

Que peut encore signifier la vie privée pour ces enfants ?

Si ces enfants sont surveillés depuis leur plus jeune âge (vidéosurveillance, GPS, micro...) comment cela se répercutera-t-il plus tard sur leur vie sociale ? Ils ne savent pas ce que c'est d'avoir une vie privée, vont-ils savoir respecter celle des autres et celle de leurs futurs enfants ?
Si les enfants n'apprennent pas les règles de base de la vie privée, ils ne sauront pas mettre de barrières, de limites, dans la leur. Les enfants vont finir par considérer le fait d'être espionner, par mail ou par SMS, comme normal. Comment ces futurs adultes vont-ils savoir protéger leurs données personnelles des personnes mal intentionnées ? En voulant absolument surveiller les enfants, les parents normalisent et banalisent la surveillance, sous toutes ses formes. C'est là le vrai risque. Serions-nous entrés dans l'ère du Big Parent is watching you ?

 


OMNSH

De formation de cinéaste, Michaël Stora est devenu psychologue et psychanalyste. En 2000, il cofonde l’OMNSH (Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines) pour rassembler les chercheurs et publier leurs contributions universitaires. Il co-publie en 2006, L’enfant au risque du virtuel aux Editions Dunod dans la collection Inconscient et Culture. Co-écrit avec Serge Tisseron et Sylvain Missonnier. Puis sera nommé comme expert auprès des ministères de la jeunesse, de la culture et l’éducation pour le projet PEM (éducation aux multimédias), avant de publier en 2007, Les écrans, ça rend accro…  aux éditions Hachette Littérature. Collection « Ca reste à prouver… ».

 

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Rédactrice bien-être spécialisée dans le parenting....
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