Enceinte, on commence avec les nausées, l’envie de dormir, et voilà qu’on se met à perdre la mémoire. On oublie ses clés après avoir claqué la porte, on zappe la date de dîner chez sa belle-sœur et plus grave encore, on rate la soirée d’anniversaire de son meilleur ami… C’est là qu’on se regarde dans la glace et qu’on se dit : y a-t-il encore un cerveau dans cette tête ? Et qu’une minute plus tard, on appelle sa meilleure amie, celle qui a accouché de jumeaux il y a 3 mois, pour lui demander : « Rassure-moi, tu te souviens encore de ton nom quand même ? »
« J’ai la mémoire qui flanche… »
Pas de panique, c’est normal. Etre enceinte, ce n’est pas une maladie, mais cela entraîne nombre bouleversements. Et perdre un peu (beaucoup) la mémoire peut faire partie des réjouissances. « J’ai la mémoire qui flanche, je ne me souviens plus très bien … », on connaît tous la chanson fredonnée par Jeanne Moreau. C’est en tous cas un sujet de préoccupation souvent évoqué dans les forums de futures mamans. De nombreuses femmes enceintes se plaignent de « tout oublier ». Est-ce une impression ? A quoi cela est-il dû ? Est-ce un processus réversible ? On fait le point (et on va essayer de ne pas tout oublier).
La réalité neurophysiologique
Sur le plan biologique la question n’est pas tranchée. Tout a commencé avec les résultats d’une méta-analyse publiée en 2007 sur les femmes enceintes, ainsi que celles venant d’accoucher, qui regroupe les résultats de 14 études publiées entre 1991 et 2007. Synthèse générale : les femmes enceintes sont moins performantes quand on les soumet à des tests de mémoire, mémoire à court-terme surtout et mémorisation de mots. Les résultats montrent que les performances sur les tests concernant l'apprentissage et la récupération de la mémoire sémantique étaient plus faibles dans le groupe des femmes enceintes, par rapport au groupe des femmes non-enceintes.
De même, dans une autre étude menée par des britanniques, publiée en 2014, les chercheurs ont soumis plusieurs femmes à des tests de mémorisation spatiale, comparant différents groupes : femmes non enceintes, femmes enceintes réparties selon les différents trimestres. Au fil des trimestres, les femmes enceintes se sont montrées de moins en moins performantes aux tests de mémoire (leur score baissant en moyenne de 11,7 % entre le deuxième et le premier trimestre et entre le deuxième et le troisième). En revanche, les performances de reconnaissance n'ont pas été pires et au contraire même un peu améliorées chez les femmes enceintes.
Ces résultats pèsent contre une explication purement biologique des troubles de la mémoire associés à la grossesse et militent plutôt pour une explication stratégique. En particulier, les résultats suggèrent que lorsque les femmes sont enceintes, elles comptent plus sur le traitement spécifique à un objet (ce qui peut améliorer la reconnaissance), mais quand elles ne sont plus enceintes, elles comptent plus sur le traitement relationnel (qui améliore le rappel).
Pour autant ces différences s’avèrent minimes comme le constate une autre étude américaine publiée dans le Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology en 2014, qui suggère qu’il existe des différences dans les ressentis subjectifs de mémoire, mais pas de différences dans les résultats des tests neuropsychologiques entre les femmes enceintes et les post-partum.
Plus récemment, coup de théâtre, une étude menée par des chercheurs de l'Université Autonome de Barcelone (UAB) et l'Institut de Recherche Hospital el Mar (IMIM) affilié à la clinique IVI de Barcelone, et publiée le 19 décembre 2016 dans le journal Nature Neuroscience démontre pour la première fois qu'il existe des changements durables dans la morphologie neuronale de la mère - au moins pendant deux ans après l’accouchement – causés par la grossesse. Cette trace n'est pas irréversible et cette perte de volume de la matière grise analysée n'implique en réalité aucune perte cognitive. Ce serait même plutôt l'inverse. Cette évolution serait due à une adaptation du cerveau de la mère pour se focaliser au mieux sur son bébé. Les pertes de mémoire observées ne seraient donc pas liées à cette adaptation neuronale.
Comment expliquer alors ce phénomène pourtant souvent observé chez les femmes? Il semblerait que si la trace neurophysiologique est faible, l’impact psychologique de la grossesse, elle, est forte. Ce qui pourrait expliquer que des déficits d’attention aboutissent à des erreurs de mémoire qui, sans être des « troubles » au sens clinique du terme, sont tout de même sources de dysfonctionnements dans la mémorisation à court terme.
Le coût émotionnel
Une explication qui semble avoir la faveur de nombreux psychiatres aujourd’hui : le coût émotionnel. La psychologue Laura M. Glynn de l’université Chapman a effectué une synthèse des études sur ce thème dans un article publié dans Current Directions in Psychological Science, (Association for Psychological Science). Ce qu’il faut retenir : la grossesse correspond à un immense bouleversement hormonal chez la femme. Cette transformation favoriserait la préparation du cerveau des futures mères aux exigences de la maternité, les rendant plus sensibles et plus à l’écoute des besoins du bébé à venir. Mais cette tornade intérieure dans le cerveau des femmes enceintes aurait aussi un « coût : une perte de mémoire temporaire, typique de la femme enceinte et de la nouvelle mère.
Si la réponse aux troubles de la mémoire de la femme enceinte serait plutôt à chercher donc du côté émotionnel, il n’en reste pas moins, que telle une athlète de haut-niveau dont le cerveau est focalisé sur son objectif, la femme enceinte a besoin d’optimiser ses capacités physiologiques, afin de préserver son "capital mémoire". Que faire pour préserver son équilibre, tant pour son intérêt que pour celui de son bébé?
Ma check-list super mémoire
Voici les recommandations issues de la Mayo Clinic, ainsi que celles données par le livre de Laurence Pernoud « J’attends un enfant », qui ont été approuvées par son comité scientifique.
· Bien dormir : toute personne en déficit de sommeil se trouve soumise à une dégradation de sa mémoire parmi d’autres troubles. Les femmes enceintes voient leur besoin en sommeil augmenté. Donc plus que jamais, dormir suffisamment est indispensable.
· Bien se nourrir : La Mayo Clinic conseille aux femmes enceintes de garder un régime fait de fruits, légumes, céréales complètes et protéines maigres. Elle ajoute que des nutriments comme les acides foliques, le calcium, les vitamines D, les protéines et le fer sont importants pendant la grossesse. Ils peuvent être obtenus grâce à des aliments comme les épinards, les haricots, le lait, les yaourts, le saumon, les œufs, les lentilles et la volaille.
· Eviter le stress : les images négatives peuvent perturber la sérénité et celle du fœtus. Mieux vaut éviter toute situation à fort influx négatif, y compris issus du monde virtuel comme les films d’horreur et les jeux vidéo violents.
· Se simplifier la vie : tout ce qui fait gagner du temps et limite les efforts est bon pour la femme enceinte. Se faire livrer ses courses. Diminuer ses obligations....
· Apprendre à hiérarchiser entre ce qui est important et ce qui l’est moins, ce qui peut attendre et ce qui est urgent.
· Diminuer ses exigences : réfréner sa volonté d’en faire trop. Et oublier la philosophie "jusqu’auboutiste" : j’en profite avant que le bébé ne soit né. Enceinte, le bébé est déjà là en filigranne.
· Découvrir la méditation, la sophrologie ou le yoga pour femme enceinte, afin d'appendre à développer son attention et mieux vivre avec ses émotions, en cas de grande difficulté à prendre du recul.
Laisser sa place au bébé
Que le bouleversement émotionnel et la fatigue physiologique puissent expliquer les troubles de la mémoire ressentis par de nombreuses femmes enceintes montre à quel point nous sommes à l’aube d’une nouvelle approche de la « chimie » intérieure de la grossesse. Il semblerait donc que l’énorme bouleversement tant hormonal qu’émotionnel entraîne des modifications, qui aident la femme enceinte à se préparer à l’arrivée de son bébé. Les petits oublis seraient comme une manière de « désencombrer » son psychisme et de mieux lui "faire" une place. Comme le dit encore Jeanne Moreau. « Je n’ai pas de mémoire, je n’ai que des souvenirs ». Ceux qui concernent la grossesse et le bébé seront, eux, à jamais inoubliables.