A sa naissance, le nourrisson ne fait pas de différence entre lui et sa mère. Puis, entre 6 et 18 mois, l'enfant porté par sa mère finit par reconnaître son image dans un miroir. Cette observation est le symbole d'une étape essentielle dans le développement de l'enfant. Elle a été d'abord théorisée par un psychologue, Henri Wallon (1879-1962), dans son étude sur la construction de la personnalité infantile. Il est le premier à avoir utilisé en 1931 l'expression « stade du miroir ». Dès lors, pour lui, l'enfant unifie son corps. Pédopsychiatre et psychanalyste, notre expert Linda Morisseau, explique comment la psychanalyse a fait évoluer cette notion.
Une notion importée par Lacan
En 1936, lors d'une conférence à Marienbad, Jacques Lacan reprend à son compte l'expression de « stade du miroir ». Il expose l'effet structurant de cette étape dans la construction de la personnalité. Avant cet éclair de connaissance, le bébé ne fait pas de différence entre son corps et celui de sa mère, entre lui et le monde extérieur. Le psychanalyste parle d' «être morcelé ». Il craint même son reflet. Puis, un jour, l'enfant porté par sa mère qui le pointe du doigt dans le miroir, va reconnaître son image. Il « s'observe et jubile », décrit Lacan.
Une notion essentiellement reprise par Dolto et Lebovici
Françoise Dolto puis Mélanie Klein et Lebovici étendront la théorie lacanienne. Leur fine observation de très jeunes enfants leur permettra d'extrapoler la surface réfléchissante du miroir à d'autres supports.
- Pour Françoise Dolto : la révélation chez l'enfant peut se produire avec cette « surface psychique omniréfléchissante », la voix ou une autre forme sensible. Loin de jubiler, l'enfant vit, selon elle, ce moment comme un déchirement. Avant le cap du « miroir », il possède une image inconsciente de son corps. Après, il doit la faire coïncider avec son reflet et inscrire sa personnalité dans son corps biologique. C'est une fin et non un début comme le théorise Lacan. Dolto insiste sur le fait que le parent doit décrire l'image qui se reflète en disant, « c'est ton image dans le miroir » et non « c'est toi ».
- Pour Lebovici : le regard de la mère sur le nouveau-né opère très tôt une reconnaissance mutuelle. Il sélectionne le visage humain dans une première rencontre fondatrice.
L'importance du parent dans la connaissance de soi
Ce moment n'est possible que par la présence de l'Autre (le parent qui montre le reflet). Par cet événement, le sujet est « unifié » et commence à se construire en opposition avec le reste du monde. L'enfant a ainsi besoin de la relation humaine pour s'identifier en tant qu'individu. A partir de ce moment là, il va jouer avec son image en regardant son environnement et ses mouvements dans le miroir.
Une connaissance de soi qui s'acquiert progressivement
- Vers 6 mois : tenu dans les bras de son parent, l'enfant est surpris d'apercevoir son image dans un miroir. Il ne comprend pas encore ce rapport de doublon, mais reste intrigué quand à la similitude et à la répétition des actions. Il tournera la tête entre le parent et le miroir, essayant de comprendre « qui est qui ».
- Entre 8 et 10 mois : l'enfant recherche le contact physique avec le miroir, pensant que la personne en face de lui est quelqu'un d'autre. Il cherche à le toucher et à jouer avec lui. Il prend cependant l'habitude de voir maman ou papa en double lorsqu'ils sont devant un miroir, et prend conscience dedes personnes et de leur identité présentent devant lui. Le parent, pour lever la confusion, peut expliquer à l'enfant que le miroir représente son image, mais qu'il n'y a qu'un papa et qu'une maman.
- Après 10 mois jusqu'à 3 ans : l'enfant prend progressivement conscience que la personne en face de lui est le reflet de son image. Intrigué et ravi, il se contemple devant le miroir en faisant grimaces, postures étranges afin de découvrir son corps. Il regarde ses habits et apprend à s'aimer et se regarder.
L'enfant devient sujet, une personne à part entière
L'enfant devient « sujet » à part entière et se distingue de ce qui l'entoure, notamment de ses parents. Ce moment est capital dans l'organisation psychologique de l'enfant. Au-delà des théories psychanalytiques des uns et des autres, il est utile que les parents comprennent le processus fondateur de la construction de la personnalité de leur bébé. Cette phase qui permet à l'enfant de percevoir sa cohérence d'individu fait défaut chez ceux atteints de troubles autistiques ou psychotiques. Ces petits patients restent effrayés devant le miroir. A partir de ce moment de connivence face au miroir, l'enfant commencera à s'opposer et à conquérir son autonomie. C'est le signe d'une bonne évolution, les parents ne doivent pas le voir comme un rejet. Il interprète aussi le regard parental vis-à-vis de son image. Pour les psychanalystes, c'est la naissance du « sur-moi ». Et le début d'une longue histoire dans la construction de la personnalité de l'enfant...
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